Je n’ai fait que danser ma vie. Documentaire. Réalisée par Elisabeth Kapnist (52 mn, 2008).
Bacchante pionnière et tragique.
Morte à 50 ans, au milieu d’une vie pour que naisse le mythe de la bacchante inspirée par le mouvement de l’avenir, Isadora Duncan demeure une légende de la danse. Né américaine, à San Francisco en 1877, morte à Nice en 1927, parce qu’elle portait une écharpe qui se prit dans la roue de la décapotable qui la menait sur une route française, l’artiste américaine est l’incarnation de la pionnière, née chorégraphe et danseuse, la figure exemplaire pour toutes les danseuses et danseurs de l’art moderne: ainsi en témoignent Carolyn Carlson, ou Billy T. Jones. Comme Piccasso a ouvert le sillon de la modernité, Isadora Duncan sème, laboure, récolte. Elle est la fondatrice de la danse moderne et aussi, l’une des visionnaires oeuvrant pour l’émancipation de la femme.
Danse libératrice.
Son art, né dans le rouleau des vagues, comme elle aime à le rappeler (dans “Ma vie“, son autobiographie dont sont extraits les commentaires des images, lus par Aurore Clément), est une libération. Du corps et de l’esprit. Un appel au rêve, à la création, pour que naisse l’homme nouveau dans une société nouvelle. Telle une égérie et une muse sortie d’un tableau de Poussin, bacchante habitée par la pulsation antique, Isadora Duncan a littéralement subjugué son époque, de la haute société londonienne, parisienne et russe, comme Viennoise, aux petites gens de la Russie révolutionnaire, grâce à son naturel d’une rare élégance, qui ose danser nue dans les vagues. Contre les pointes et la tyrannie de la danse classique, comme critique à l’égard des drapés anecdotiques d’une Loie Fuler (dont elle fera partie de la troupe), elle innove, explore, invente le mouvement et la danse du futur. La fondatrice de l’art moderne aura durement payé son obole au destin: elle perd ses deux enfants, à la suite d’un accident de voiture: tous deux périront dans les eaux de la Seine.
Prétresse visionnaire entre Antiquité et Futur
Outre la fondatrice d’une nouvelle école de danse, qui compte bientôt de ferventes élèves, appelées les “Isadorables” (qu’elle finit par adopter, leur permettant d’être ses filles adoptives), le documentaire évoque aussi les relations tumultueuses de la femme scandaleuse qui croque les jeunes hommes , et les bons partis, comme la vie: avec le milliardaire Paris Singer, héritier fortuné de la maison fabricant les célèbres machines à coudre, qui lui offre le Château de Bellevue dont elle fait le temple de la danse de l’avenir; avec le metteur en scène Gordon Craig, l’un des metteurs et scène les plus novateur de l’époque dont elle aura une fille, “Dayrdre”; avec enfin, le poète maudit, Sergueï Aleksandrovitch Essenine ou Iessenine (1895-1925), qu’elle épouse à 40 ans, quand il en a 26. Leur idylle scandaleuse s’achèvera par le suicide du poète: haine, détestation, passion… Le film d’Elisabeth Kapnist est un véritable joyau pour tous les amateurs de danse: il s’appuie sur une riche et sérieuse documentation dont la richesse des témoignages, souligne la pertinence.
Corps nouveau pour société nouvelle
En découvrant une figure légendaire de la danse du XXème siècle, doublée d’une personnalité entière, radicale qui n’a cessé de traverser la planète, de New York (qu’elle quitte avec enthousiasme tant le conformisme puritain l’écoeure, pour mieux retrouver l’Amérique lors de tournées triomphales) à Londres, de Berlin à Vienne, de Chicago à Paris… Sans omettre Saint-Pétersbourg/Léningrad qui lui permettra au soir de sa vie de fonder une nouvelle école pour que naisse la société de l’avenir (quitte à sombrer dans l’art de propagande à la solde de l’idéal soviétique)… Les contributions à la compréhension de son travail, les reconstitution de son art chorégraphique, proposés par plusieurs chorégraphes contemporain (Billy T. Jones, Carolyn Carlson dont le professeur fut un admirateur d’Isodora, …) révèlent l’actualité d’une démarche à laquelle l’essor spectaculaire des compagnies de danse moderne depuis les années 1990, donne raison. Femme de la terre et de la mer, telle une Vénus incarnée, Bacchante drapée aux pieds nus, libératrice et révolutionnaire, menant train de reine, Isadora Duncan nous laisse un portrait fascinant que le documentaire dévoile pas à pas. Incontournable.
Isadora Duncan: Je n’ai fait que danser ma vie. Documentaire, 2008 Arte. Lundi 26 mai 2008 à 22h30
Posté le 04.05.2008 par Alban Deags